PAGE 137 : BESSE (24), UN VILLAGE, UN CADRE, UNE EGLISE ET SON PORTAIL... SPLENDIDES !
C’est un petit village comme je les aime. Sans tapage visuel, pas de panneau publicitaire, pas de verrue pour gâcher un panorama ou un paysage… Quelques maisons ocre blotties sous une église fortifiée, de la verdure partout, et en prime, un parking ombragé spécialement aménagé pour les pique-niqueurs, près d’un ruisseau glougloutant….
Que désirer de plus ?
UN PETIT COIN DE PARADIS !
Besse (24): Le trajet our s'y rendre. (Photo: Patrick Garcia)
Je passe près de Besse, à une portée d’arbalète de Villefranche du Périgord, de Belvés ou Bonaguil. Vérifiant sur mon guide routier les villages à traverser, je constate que ce petit village possède une église fortifiée dotée d’un portail spectaculaire. Mon sang ne fait qu’un tour, et me voilà parti pour m’en mettre plein les yeux, même si je ne suis pas un spécialiste de la sculpture religieuse romane.
Comme dit précédemment, l’endroit est envoûtant. Un cadre de verdure vallonné avec des collines qui doivent atteindre de 250 à 350 mètres. Les routes traversent des forêts qui fleurent bon le cèpe et le ciel bleu d’azur donne envie de se tremper les pieds dans un petit cours d’eau qui traverse le village : la Lémance.
Besse (24): Vue générale du village. (Photo: Patrick Garcia)
Ici, pas de « Périf’ » impossible à traverser, je gare mon véhicule près de la mairie et je me dis que je pourrai le laisser ouvert, car il n’y a pas âme qui vive au premier abord. J’ai tort. A peine ai-je esquissé quelques mètres vers le haut du village et le but de ma visite, qu’un homme d’âge mûr m’accoste pour me dire qu’il existe des tables et parkings ombragés près du ruisseau et que j’y serai mieux qu’en plein « cagnard », si je le désire… De quoi donner un bon apriori avant même de commencer ma visite !
Besse (24): Vue de l'autre côté du village, donnant sur cette superbe église à toits de lauzes. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Un endroit de paix, taillé pour la promenade et la réflexion. (Photo: Patrick Garcia)
Après avoir suivit ses précieux conseils, je remonte et découvre un village identique à une carte postale. Des maisons anciennes dans un style périgourdin très pur, presque toutes ont des « balets ou bolets », ces sortes d’avant-toits qui couvrent les entrées qui sont toutes à l’étage, la cave étant en sous-sol. Des toits pentus pour pouvoir soutenir les lauzes, souvent remplacées par la tuile du coin, « la Galette ». Mais parfois, on garde, comme souvent en Périgord, quelques rangées de lauzes sur le bas des toits, comme en hommage aux charpentiers-couvreurs d’autrefois. Un peu à regret de ne plus être tout à fait traditionnel, mais aussi, parce que à cet endroit, sur le début de la toiture, même un débutant peut arriver à entretenir cette précieuse couverture en pierre…
Besse (24): Un village traditionnel du Périgord. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Partout la pierre jaune et des fleurs à discression... (Photo: Patrick Garcia)
Dans le village, tout ce qui peut rappeler le modernisme outrancier est gommé. Pas de poteau, câble téléphonique ou électrique apparent. Les réverbères sont des pseudos lanternes semblables à des lampes tempêtes du plus bel effet. Les cheminées sont terminées par des sortes de petites maisons en pierre, et les maisons sont pourvues de belles vignes vierges ou glycines. Elles courent sur les façades, jetant des couleurs vert émeraude sur l’ocre des murs et l’azur d’un ciel sans nuage…
Partout des fleurs multicolores devant les maisons, dans les rues, dans les jardins… Et cerise sur le gâteau, pas un bruit de moteur.
Besse (24): Toits et surtout cheminées magnifiques. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Presque partout, le fameux "Balet", le perron en hauteur couvert. (Photo: Patrick Garcia)
UN LIEU CHARGE D’EMOTION :
Besse (24): La vénérable église veille sur ses ouailles... (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): En faisant le tour, on aperçoit des meurtrières, cette église était le dernier refuge des habitants. (Photo: Patrick Garcia)
Je me promène longuement dans le village et autour, pour trouver un bel angle de vue à ce petit bijou d’église fortifiée. Et c’est vrai qu’elle est belle, l’église Saint-Martin, dans son écrin de verdure, avec sa forme ramassée en croix latine, sa nef doublement plus haute que le reste de l’église et ses magnifiques toits en lauzes.
Besse (24): Le haut de l'église, tel un donjon fortifié protégé par des meurtrières. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Détail; notez les puissants corbeaux de la charpente multi-centenaires. (Photo: Patrick Garcia)
Mes topoguides expliquent que la nef est très haute pour pouvoir « entasser » tous les villageois en cas d’attaque. Car il y a plusieurs étages dans cette nef afin de pouvoir garantir la sécurité d’un maximum d’habitants. Ils peuvent se défendre par des meurtrières que l’on peut encore voir et par des hourds en bois crénelés dont on peut examiner encore les nombreux trous de boulins qui les soutenaient. Il y a même sur le mur qui domine le chevet, une porte qui desservait ces hourds pouvant aussi servir de latrines en cas de nécessité. On trouve ce même type de porte sur les autres côtés de cette nef qui est un véritable donjon.
C’est grâce à l’ensemble fortifié que constituaient l’église mise en défense et le château vieux (aujourd’hui disparu) que Raymond-Bernard Gaulèjac, châtelain de Besse, a pu repousser les attaques des anglais. C’est ici la partie la plus ancienne, la nef est romane, le transept et le chœur sont d’un beau gothique qui vient éclairer avec douceur la nef austère. Le dallage est fait de grosses dalles carrées en pierres, un peu disjointes, un peu rugueuses, mais tellement chargées d’émotions.
En effet, dans les lieux de culte il y a obligatoirement, pour les croyants, des moments d’émotions lors des différentes cérémonies qui rythment la vie. Mais ici, en prime, nous savons que les habitants dépourvus d’abri sont venus s’entasser avec femmes et enfants, pour lutter et résister aux hordes anglaises et plus tard aux troupes protestantes ou aux bandes de brigands. Quelles furent leurs pensées, leurs désirs, leurs peurs ?
Un texte nous apprend les rigueurs des habitants de Besse à cette époque où l’église et le village sont sortis de la guerre abandonnés au point qu’en 1454, un notaire de Gourdon écrivit à la suite d’une visite au village :
« Devenu tout infertile et destitué d'habitants à cause de la guerre et des sinistres évènements advenus dans le Quercy et le Périgord dans lequel lieu on ne pouvait passer et traverser les bois, feuillages, buissons et espines, ce qui faisait compassion et était capable de donner et exciter à douleur».
Pour repeupler le village, Raymond-Bernard de Gauléjac fait venir de nouveaux tenanciers du haut Quercy et du Rouergue. Au XIVe siècle, l'église devient paroissiale. Le transept et le chœur datent du XVe siècle.
Besse (24): L'entrée précédent le porche de l'église. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Plan de l'église. (Photo: du Net)
Au siècle suivant, l'église dépend du chapitre canonial de Biron. En 1648, on restaure l'église avec des matériaux du vieux château qui la jouxtait et en 1811, on envisage de la détruire. En 1961, des peintures sont découvertes dans le croisillon sud.
UN PORTAIL SUPERBE !
Besse (24): "LE" joyau de Besse, le superbe portail roman de l'église, un livre ouvert sur la bible. (Photo: Patrick Garcia)
Ce portail est à lui tout seul « LE » joyau de l’église Saint-Martin. Les voussures sont ornées de personnages et de scènes tirées de l’évangile. De chaque côté, une colonnette court le long du portail jusqu’à six mètres de haut, sur ces deux colonnettes, s’appuie une corniche supportée également par une belle série de modillons représentatifs de l’art roman. Cette corniche est la base d’un triangle en carreaux de pierres losangées, sorte de fronton destiné à mettre en valeur le portail.
Besse (24): Vue de la partie gauche et les différents cordons de voussures à base d'entrelacs, de noeuds et de végétaux. (Photo: Patrick Garcia)
Les voussures comportent plusieurs types de décorations. Celle au plus près de la porte est composée de végétaux, sortes de couronnes de feuilles palmées enchâssées les unes sur les autres et garnies de perles. Ce « boudin » palmé se cintre tout autour de la porte et vient s’appuyer sur des chapiteaux historiés de chaque côté. Il n’est seulement interrompu qu’à son sommet par la représentation de l’Agneau Crucifère porté par un angelot.
La voussure extérieure elle est dédiée aux divers personnages. Son dessous qui borde la voussure inférieure, est rempli d’entrelacs de cordes nouées à la manière d’un filet de pêche.
L’extérieur de cette voussure, qui donne sur le mur du fronton est occupée par une large bande d’entrelacs de deux lignes bouclées à l’infini, interrompue seulement au sommet, pour laisser place à un petit personnage assis dans les bras de deux anges. Il s’agirait de Saint Pierre aux Liens, dont la légende dit qu’à son martyre, l’un des bourreaux vît monter l’âme au ciel portée par deux anges.
Comme l’indique un panneau à l’entrée du monument, sculpté pour les moines, le porche n’est pas à lire comme un catéchisme, mais il faut en décrypter les symboles car il représente un immense hymne à la Rédemption. En ce qui concerne l’extrados de la partie historiée :
Besse (24): Séraphin. (Photo: Patrick Garcia)
- à gauche en bas, Isaïe, entouré de séraphins (ce sont des anges à trois paires d’ailes), entend la Voix de Dieu lui enjoignant d’annoncer l’arrivée de Jésus. L’un des séraphins purifie les lèvres d’Isaïe à l’aide d’une braise qu’il tient avec une pince.
Besse (24). (Photos: Patrick Garcia)
- Adam et Eve réalisent la faute qu’ils viennent de commettre. A droite, Dieu s’adresse à Adam (les initiales des premières paroles sont gravées dans la pierre entre Dieu et Adam).
Besse (24): Légende ci-dessous. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Légende ci-dessous. (Photo: Patrick Garcia)
- Au centre, Adam et Eve au Paradis. Mais ils sont habillés. Remarquez le serpent, la main d’Eve, vers le fruit, l’attitude d’Adam. Deux anges encadrent la scène elle – même surlignée par un demi cercle.
Besse (24): Légende ci-dessous. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Légende ci-dessous. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Légende ci-dessous. (Photo: Patrick Garcia)
- La scène qui suit est une des rares représentations, dans la sculpture romane, de la légende d’Eustache. Si vous regardez attentivement, vous distinguez entre les ramures du cerf, le visage du Christ.
Besse (24): Légende ci-dessous. (Photo: Patrick Garcia)
- Suit une petite vierge à l’enfant, presque méconnaissable dans son cartouche.
Besse (24): Légende ci-dessous. (Photo: Patrick Garcia)
- Enfin, en bas à droite, St Michel terrassant le Dragon.
La symbolique de ces sculptures :
Toujours selon les spécialistes, le Lion (sur le chapiteau de droite, il lui manque la tête) représente la protection de Dieu (Blandine, Daniel, Eustache). Isaïe est le premier prophète (774 à 630 av. JC) à avoir annoncé l’arrivée de Jésus, St Pierre a été deux fois libéré de prison par l’ange, ce qui lui permet de délivrer la parole de Jésus. La chasse d’Eustache symbolise la quête de Dieu. St Michel chasse le démon du Ciel, mais nous aide aussi à surmonter nos propres démons, c’est lui qui accueillera les âmes des Elus, à la fin des temps. Les palmes sont celles déposées devant Jésus lorsqu’il arrive à Jérusalem, le dimanche des Rameaux. Les poissons (CHTUS en grec ; Lesos Kristos Théos Uies Soter : Jésus Christ Fils de Dieu, Sauveur) sont le symbole de Jésus.
Jésus arrive à Jérusalem monté sur âne (ici l’agneau crucifère est un âne) il sait qu’il va vers son sacrifice (l’âne porte une croix). (Photo: Patrick Garcia)
Pourquoi Adam et Eve, et la Faute ? « La mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi, que vient la résurrection des morts. De même, en effet, que tous meurent en Adam, de même, tous revivront dans le Christ » St Paul Corinthiens.
La Corde qui nous enchaîne est aussi celle (la corde entrelacée) qui unit tous les hommes.
Besse (24): Pour le petit personnage du haut, voir légende de la photo ci-dessous. (Photo: Patrick Garcia)
Le petit personnage à la clé de voute de du porche est l’âme de chacun de nous, sauvée par le sacrifice de Jésus et s’envolant vers le fronton en forme de triangle équilatéral (la sainte Trinité, le Paradis) vers une éternité promise par Jésus (les Palmes). Ainsi, chacun d’entre nous, au terme d’une vie de quête, dominant ses propres démons, est promis à la Rédemption donnée à l’Humanité par le sacrifice de Jésus.
Mais au 11ème siècle, une vie quête, n’est pas vouée à l’austérité. Les petits modillons qui soutiennent la corniche base du triangle équilatéral, représente les réjouissances terrestres : scènes de carnaval, de danse ou de fêtes. Dieu n’a pas créé une vie de larmes, il a aussi crée des moments de joie dont tout homme doit pleinement profiter, dans sa louange à la création.
PEINTURES DU XVIème SIECLE :
Besse (24): L'intérieur, notez le dallage séculaire, usé jusqu'à la"corde". (Photo: Patrick Garcia)
Comme je le disais plus haut, le dallage de l’église, composé de grosses dalles de pierres disjointes est assez sommaire. Je suis dans la nef, ces deux premières travées qui supportent la chambre de défense au-dessus de moi sont les plus anciennes, 900 ans environ. J’avance vers le chœur et j’aperçois les fameuses peintures du début du 16 ème siècle. Ces peintures découvertes en 1961, ont été décapées sans autorisation du service des Monuments historiques. Elles n'ont probablement pas été dégagées avec la minutie nécessaire. Elles ne sont pas toutes lisibles.
Besse (24): Vue d'ensemble des peintures. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): Le Baiser de Judas. (Photo: Patrick Garcia)
Besse (24): La scène de flagellation et le Christ mort. (Photo: Patrick Garcia)
Sur le mur ouest, on peut voir le Christ outragé par quatre soldats, une scène de martyre. (Photo: Patrick Garcia)
Sur le mur sud, à droite de la fenêtre, Arrestation du Christ à la descente du jardin de Gethsémani avec le baiser de Judas. À gauche, un Christ mort.
Dommage que lors de la découverte de ces œuvres, on n’ait pas pris les précautions nécessaires à leur préservation. Beaucoup de scènes et de nombreux détails sont irrémédiablement perdus, mais l’ensemble qui reste est représentatif de la peinture de la fin du moyen-âge et du début de la renaissance.
Besse (24): Le magnifique portail roman. (Photo du net)
Je ressors et admire une dernière fois cet ensemble superbe, conscient de la chance que j’ai de le voir, tant de choses ont disparues de cette époque, des églises, le château attenant, les maisons, les gens…
Oui ! Besse vaut le détour, et même un voyage d’une journée pour profiter de ce beau cadre et de tout ce qu’il a alentour.
PATRICK GARCIA