PAGE 98: BONAGUIL, LE MAGNIFIQUE, PHARE DU LOT ET GARONNE ...
"Le Magnifique...."(Photo: Patrick Garcia)
Bonaguil « Le Magnifique » est un des plus grands, plus puissants et plus redoutables châteaux forts qu’il soit permis de voir en France. Pourtant, il ne se situe pas dans un point stratégique, permettant de penser qu’il pourrait être un « verrou » pour bloquer les invasions… De plus, il est construit à l’époque où les châteaux ont tendance à s’ouvrir sur le monde, et à ne plus ressembler à des casemates ou des bunkers, c’est en effet le début de la renaissance. Et de fait, à cette époque du début de la renaissance, symbolisée par François 1er, les murs s’ouvrent sur d’immenses fenêtres à meneaux, dans d’interminables séries de verrières qui faisaient le bonheur des femmes de ménages de l’époque (sourire). Bonaguil, lui au contraire, est une concentration comme il en existe peu, de pierres et de mortier pour en faire un « Château Fantastique ». Il aurait bien plu au comte Dracula par l’endroit choisi, mais surtout par l’aspect imposant, redoutable, apeurant de cet extraordinaire monument dédié à l’art de la guerre.
La première vision du"Monstre". (Photo: Patrick Garcia)
Image en 3D pour mieux appréhender Bonaguil. (Image du Net)
La même vue avec ses toitures à l'époque. (Image du Net)
Un plan très explicite afin de saisir l'ampleur des travaux réalisés. (Image du Net)
Fernande Costes, qui fut une passionnée du castel, et qui a écrit beaucoup à son sujet, elle qui fut aussi guide des lieux et conférencière, le faisait bien comprendre : « C’est un château atypique, précurseur dans l’art de la guerre, puisqu’il est bâti pour résister aux boulets de cette arme qui commence à faire des ravages lors des sièges : le canon. »
A une époque où ses semblables se rendent plus fragiles par le biais des nombreuses ouvertures qui affaiblissent les murs et rendent plus vulnérable le castel lors d’un assaut, Bonaguil se protège par une nouvelle conception dans l’art militaire, que reprendra plus tard Vauban, des angles pointus pour faire ricocher les boulets. C’est en particulier le cas pour ce donjon effilé comme une lame de couteau et qui dresse son éperon vers l’endroit supposé être le plus « fragile », actuellement occupé par le parking. D’ailleurs, toujours dans la crainte du canon, puisque c’est le seul endroit atteignable, le talon d’Achille du Castel, le bâtisseur va construire un ensemble défensif inimaginable car nouveau pour l’époque, une barbacane aux murs démesurés pour protéger l’entrée, justement à cet endroit, tout le reste de Bonaguil est en surplomb, donc facilement défendable.
Un donjon tel une étrave de navire. (Photo: Patrick Garcia)
Dans les souterrains... (Photo: Patrick Garcia)
Superbe voûte en encorbellement d'une des salles. (Photo: Patrick Garcia)
Au sortir du premier souterrain, des renforts pour accrocher le castel au rocher. (Photo: Patrick Garcia)
Dans les dédales de Bonaguil, toujours braqué par un poste de tir... (Photo: Patrick Garcia)
Ce château ne pouvait être bâti que par un seigneur « bougon », un homme fier et d’un autre âge…
N’oublions pas que Bonaguil fut construit bien après la fin de la Guerre de 100 Ans (1453), à partir de 1480, et qu’il fallut plus de 40 ans à « Bringon » pour l’édifier!
BERANGER DE ROQUEFEUIL L’ORGUEILLEUX.
C’est un bien curieux personnage que ce seigneur, surnommé « Bringon », on aurait presque pu dire « grognon ». Un noble d’un autre âge, à une époque où les serfs et les habitants des villes et des campagnes, même s’ils sont corvéables à merci et pressurés, obtiennent du pouvoir royal, quelques émancipations, surtout dans les villes neuves. Bringon qui est né en 1448, reçoit à la mort de son père, il a déjà près de 40 ans, de nombreuses terres. Il a plus de 20 châteaux, déjà. Ces terres lui apportent de gros revenus… Heureusement, car il en aura besoin pour construire le « Monstre de Pierre ». Parmi ces fiefs, un, Castelnau-Montratier, va être la cause indirecte de la naissance de Bonaguil.
Bringon est jaloux de ses prérogatives et il n’est pas à l’aise dans cette époque où le pouvoir royal, pour s’affirmer, est en lutte avec le pouvoir féodal, déliant quelque peu les liens « inaliénables » du servage et des vilains. Béranger veut marquer son autorité sur son fief de Castelnau-Montratier, en supprimant quelques-unes des libertés des habitants, revenant ainsi aux plus sombres heures de la féodalité de « droit divin ». Il y aura même une « bataille » entre sa troupe et les habitants.
L’affaire se conclura devant la justice du Parlement de Toulouse. L’Orgueilleux va y subir l’affront de sa vie. Condamné, après moultes hésitations, et sous la contrainte de se voir dépouiller par le pouvoir royal qui est en grand besoin de subsides, il décide de se rendre dans son fief et de publiquement remettre en usage les coutumes pour lequel les habitants se sont révoltés. Il s’engage à les respecter….
Replongeons dans les entrailles de Bonaguil, imaginez les foules qui auraient pu s'entasser dans ces longues coursives! (Photo: Patrick Garcia)
L'arrière du donjon de Bonaguil, lui aussi, effilé comme une lame...(Photo: Patrick Garcia)
Sur les terrasses, si les formes sont généreuses, il y a de grands manques dans les hauts de murs... (Photo: Patrick Garcia)
Cette tour était protégée par un petit pont levis, et deux canonnières. (Photo: Patrick Garcia)
Bel ensemble monumental voué à la défense. (Photo: Patrick Garcia)
Voilà « l’Évènement » qui va présider à la construction de Bonaguil. Mettons nous un instant dans la tête de ce baron, habitué depuis sa tendre enfance, à être flatté, courtisé, recherché, admiré, ayant quasiment droit de vie de mort sur ces sujets, puisqu’il détient la haute et basse justice. Mais voila, un vent nouveau souffle sur la France d’alors, depuis Louis XI qui luta toute sa vie contre les grands féodaux du royaume afin d’affermir le pouvoir royal et la nation, des habitants de villes nouvelles ont acquis des droits et des coutumes aux dépens de leurs « propriétaires ». Une communauté représente un aiguillon autrement plus redoutable que des paysans dispersés dans les terres des seigneurs. Fortes de leur bon droit, elles obtiennent souvent raison lors des procès qui les opposent à leurs seigneurs. Souvent, ceux-ci, quand ils le peuvent, leur font chèrement payer leur affront. Mais parfois, quand l’affaire est remontée jusqu’au Roi, quand le jugement est irrévocable, il est vaut mieux perdre un peu de son orgueil, plutôt que sa tête ou ses biens ! C’est ce que fait Bringon. Mais pour cet arrogant, le coup est rude et il lui faut satisfaire un goût de revanche qui va le conduire à se couper de ceux qui l’ont « méprisé », ses sujets, et le pouvoir royal. Pour y arriver, il va construire dans l’endroit le plus reculé de ses terres, le plus inhospitalier, le plus impressionnant, un château inexpugnable, monstrueux… Ne disait-il pas:
« J’élèverai un castel que ni mes vilains sujets ne pourront prendre, ni les Anglais s’ils ont l’audace d’y revenir, voire même les plus puissants soldats du roi de France. » Il fallait en avoir gros sur le cœur et être courroucé au plus haut point pour lancer un tel cri de défis !
A ORGUEIL DÉMESURÉ, CHÂTEAU FANTASTIQUE !
Et il le fit ! Généralement, « il y a loin de la coupe aux lèvres », mais là, cette volonté inébranlable de « redorer son lustre » par un acte d’éclat lui permis de poursuivre à son terme ce travail libérateur de cette rancune accumulée contre tout et envers tous. Perdu dans son siècle, il passa le reste de sa longue vie à élever et à fignoler ce qui finalement fût « une sorte de magnifique tombeau pour ses illusions perdues ».
Et il en impose, le bougre ! Dès que nous arrivons par les méandres de la petite route, il se dévoile tout d’une pièce, immense barrage de pierres posé au beau milieu de la route. Un château à faire peur, il le fut tout au long de son histoire, car il semble que personne n’ai jamais osé s’aventurer à l’attaquer, tellement il semble inexpugnable. Loin des « nids d’aigles », ce ne sont souvent que des repaires de brigands de peu d’importance, situés sur un piton, d’où partaient les « chevaliers » en mal de rapine… Tel celui de « Tombebouc » à Allez et Cazeneuve, qui, tenu par des écorcheurs anglais, sema la terreur dans toute la contrée durant la Guerre de 100 ans… Ici, c’est une « Montagne, posée sur la Montagne », il ne fit pratiquement plus jamais parler de lui dès son achèvement. Bringon y resta souvent enfermé à ruminer jusqu’à sa mort à 82 ans, en 1530. Depuis, il resta à l’écart des grands tourbillons de l’Histoire et des Révolutions. Il ne servit pas de carrière comme tant de ses congénères, trop loin de tout, trop…fort, trop impressionnant, même pour les démolisseurs. Seules les boiseries, les toitures furent vandalisées par les révolutionnaires. Si l’appareil militaire est resté en l’état, les planchers ont parfois disparus, mais les maçonneries sont superbement préservées, le donjon est intact, finalement, ce sont les logis de Bringon, ses lieux de vie, qui ont le plus souffert, et nombre de cheminées sont accrochées à des murs sans toits.
Deux des symboles de Bonaguil, la tour carrée et la"Grosse Tour". (Photo: Patrick Garcia)
Dans les appartements seigneuriaux, les toitures et planchers ont disparus, reste de belles cheminées orphelines... (Photo: Patrick Garcia)
Dans une salle, la généalogie de Béranger de Roquefeuil. (Photo: Patrick Garcia)
Parmi les pièces exposées, un chauffe plat. (Photo: Patrick Garcia)
Mais aussi des graffitis...(Photo: Patrick Garcia)
UN PRODIGE DE L’ART MILITAIRE :
Je l’ai dit en préambule, ce château est typiquement féodal, mais comme il est élevé à l’époque où l’on élève Chambord et Chenonceau, il est déconcertant. Il bénéficie de tous les avantages de son époque sur le plan défensif, avec plus d’une centaine de « canonnières » pour tirer avec des « bouches à feu » , des saillants effilés qui dévient les boulets, une barbacane qui est un ouvrage avancé d’un type nouveau, château (ayant des murs de 4 mètres d’épaisseur) dans le château, pour en protéger l’entrée dans la partie réputée la plus faible… L’entrée est dans un angle mort, à l’abri d’éventuels tirs… Utilisation des cavités et grottes qui traversent la « montagne » pour créer des « coursives » tellement vastes que l’on peut y circuler avec des chariots et y entasser vivres et hommes à volonté. Autre nouveauté, je le disais plus haut, le donjon a l’aspect d’une lame de couteau, de 25 mètre de long sur seulement 8 mètres dans sa plus grande épaisseur… A 45 mètres de haut, quand on se penche à la proue de ce vaisseau de pierre, on a l’impression d’être à l’avant d’un cuirassé immobile…
D’ailleurs, quand on ne connaît pas le château, on pourrait souvent penser que cette grande et énorme tour ronde qui « crève les yeux » est le véritable donjon ! En effet, la plupart des châteaux féodaux ont leur donjon massif, car il constitue le dernier repli stratégique en cas d’envahissement du castel.
C’est qu’elle est monumentale, « La Grosse Tour », c’est son nom, plus de 14 mètres de diamètre, pour 4 d’épaisseur des murs et 35 mètres de haut ! Un spécialiste de ce type de monument (H.P. Eydoux) affirme qu’il a fallut 20 000 tonnes de pierres pour la monter… Elle vient d’être mise hors d’eau il y a peu et est impressionnante par le soin apporté à la maçonnerie et l’appareillage des pierres à la perfection. Et il y a tant et tant à voir dans cette ruine romantique, pas seulement sur le point des innovations pour l’époque, mais aussi par le cadre et la puissance de feu qui y sont entassés… Si Bonaguil a rencontré de nombreux admirateurs, il y en a au moins deux qui sont fort connus, Sir Thomas Edward Lawrence, le célèbre » Laurence d’Arabie » immortalisé au cinéma par Peter O’toole, était un archéologue reconnu, amoureux des châteaux moyenâgeux. Il en fut conquis. Mais c’est Viollet le Duc qui en est vraiment tombé amoureux. Le grand restaurateur de monuments anciens, Pierrefonds, Carcassonne, Coucy, Roquetaillade….y est venu trois fois, il voulait l’acheter… Mais trop loin de Paris pour ses occupations… N’en doutons pas, il aurait une autre figure, à l’heure actuelle, ayant retrouvé ses toitures et ses hourds… Mais enfin, le colosse qui nous est parvenu est bien entretenu depuis que sa notoriété a été multipliée sous l’effet des publications de ces deux « parrains », amoureux passionnés du géniteur et de l’œuvre qu’il a réalisé.
Max Pons et Fernande Costes, qui en furent conservateurs, en sont certainement les plus grands chantres. Ils ont beaucoup écrit, publié, fait des conférences qui ont eu une grande répercussion pour la pérennité de l’ouvrage. Depuis que ces historiens ont fait avec l’aide des municipalités et administrations, revivre cet ancêtre qui attire tous les ans de 70 à 80 000 visiteurs venus du monde entier.
Seul petit regret, que l’on éprouve dans d’autres châteaux, comme celui de Phébus, à Foix, il est un peu comme une coquille vide, quelques meubles de plus, même des copies, donneraient plus de réalisme et de chaleur au majestueux vieillard….
PATRICK GARCIA
Le haut de la"Grosse Tour" de Bonaguil et ses remarquables corbeaux en forme de pyramide renversée. (Photo: Patrick Garcia)
Une poterne qui posséde à l'intérieur, tout un arsenal défensif pour se prémunir des envahisseurs,
dont un assommoir, tout en permettant de communiquer vers les lisses... (Photo: Patrick Garcia)
Dans la cour centrale, un puits creusé dans le rocher, de plusieurs dizaines de mètres de profondeur... (Photo: Patrick Garcia)
Les"Hauts de Bonaguil", des murs souvent creux... (Photo: Patrick Garcia)
Malgré tout, un charme incontestable. (Photo: Patrick Garcia)
EXPLICATIONS TECHNIQUES
Un premier château de Bonaguil est construit après le milieu du XIIIème siècle (entre 1259 et 1271 selon Jean Jacques Gardelle), sur un éperon rocheux, probablement par Arnaud La Tour de Fumel. La seule entrée du donjon, lui-même construit au-dessus d’une grotte naturelle, est une porte à six mètres de hauteur, accessible à l’échelle et qui n’a pas changée, malgré la transformation que va connaître le château avec Bringon...
Le principal danger à la fin du 15ème siècle vient des progrès de l’artillerie. Celle-ci, née depuis plus d'un siècle, n'a cessé de s'améliorer, tant en puissance, qu'en précision et qu'en régularité de tir. Pour s'en prémunir, il faut donc tenir le plus éloignés possibles les canons de l’assaillant, tenant compte que ceux-ci, en cette fin du XVe siècle, doivent être, pour être efficaces, mis en batterie à une distance comprise entre 50 et 100 m des murailles à détruire. Au-delà, leur tir perd de sa puissance et, plus près, les servants de pièces s'exposent dangereusement à la riposte des défenseurs. Tenant compte de ces impératifs techniques, une enceinte externe, d’une longueur de 350 m, est ajoutée au château. Elle est constituée de courtines basses remparées (retenant à leur revers une masse de terre dont la partie supérieure forme une terrasse défensive) Ce système (ou « fausses-braies ») permet d'amortir partiellement, grâce aux importantes masses de terre, les vibrations destructrices des impacts de boulets contre les maçonneries. Cette enceinte extérieure de Bonaguil est renforcée de tours basses qui ne dépassent pas le niveau des fausses-braies et équipée de canonnières à tir rasant, ce qui est la deuxième innovation de cette reconstruction : la prévision de l’emploi massif d’artillerie pour la défense du château, avec un total de 104 embrasures aménagées pour les bouches à feu.
Vue plongeante depuis le donjon de Bonaguil. (Photo: Patrick Garcia)
Toujours depuis le donjon, l'intérieur de la barbacane, notez l'épaisseur des murs! (Photo: Patrick Garcia)
Le dessus de la "Lame", la tour- escalier et la sortie des cheminées, de là, vue imprenable. (Photo: Patrick Garcia)
La cour intérieur vue du donjon. (Photo: Patrick Garcia)
Le sommet de la "Grosse Tour" vue du sommet du donjon de Bonaguil. (Photo: Patrick Garcia)
On a donc une prise en compte des derniers progrès de l’armement : d'une part on repousse le tir de l’assaillant en obligeant ce dernier à positionner ses canons bien plus loin qu'il ne le souhaiterait et, d'autre part, on lui rend difficile l’approche de son infanterie par les multiples canonnières tirant quasiment au ras du sol et tous azimuts. Enfin, les canons de fort calibre de la défense sont installés de préférence en hauteur, soit sur les terrasses des fausses-braies entourant le château, soit dans les casemates situées à mi-hauteur des tours, ceci afin de battre au loin les positions de l'assaillant. Bonaguil offre donc des niveaux de défense étagés en hauteur, technique qui perdurera plusieurs siècles : les tirs lointains (tirs courbes, dits "paraboliques") sont effectués à partir des parties hautes de la forteresse, les tirs d'interdiction de l'approche (tirs tendus et rasants) opérés à partir des parties basses. Ces multiples possibilités d'utilisation de l'artillerie à des fins défensives sont renforcées par l'usage des armes portatives individuelles, tant à jet (arcs et arbalètes qui servirent jusqu'au XVIe siècle) qu'à feu (arquebuses), toutes parfaitement utilisables à partir des anciennes archères des XIIIe et XIVe siècles dont nombre sont conservées.
L’éperon sur lequel est établi le château est isolé du plateau par un large et profond fossé creusé dans le roc. L’imposante barbacane est établie en ouvrage avancé au-delà du fossé, sur le rebord extérieur de celui-ci, appelé "contrescarpe". Ce colossal ouvrage contrôle l'unique accès à la forteresse. Il peut aussi fonctionner comme un sas en cas de période d’insécurité : on laisse pénétrer dans la barbacane les entrants suspects, puis on relève le pont-levis extérieur derrière eux. Puis après contrôle de leur identité, on abaisse pour eux l'un des deux pont-levis qui donnent accès au château. La forme arrondie de cette barbacane, ainsi que ses murs épais de quatre mètres, font office de bouclier protecteur pour la face nord du château, la plus vulnérable car légèrement dominée par la crête située au nord. Cet ouvrage extérieur est ceint de son propre fossé, large de quatre mètres environ et profond de cinq. Mais le rôle de cette barbacane n'est pas que passif : si l'épaisseur de ses murs lui confère un rôle de très solide bouclier, elle se défend aussi de façon active grâce à de multiples canonnières interdisant à l'ennemi d'en approcher. Le plan de tir de ces embrasures ne laisse d'ailleurs subsister aucun angle mort. Sur le flanc est de la barbacane, du côté de sa porte, deux tours permettent d'effectuer des tirs de flanquement tandis que sur son flanc ouest, la fonction de flanquement est dévolue à une aile saillante de la muraille. La porte de la barbacane est de plus située dans le flanc de celle-ci qui domine l'abrupt, à l'est. Un pont dormant, non rectiligne car formant un coude de quatre-vingt-dix degrés vers la droite, franchit le fossé de la barbacane et s'achève, devant la muraille de celle-ci, par un pont-levis. Le virage formé ce pont fixe rendait très difficile, voire impossible, l'utilisation d'un bélier aux fins de défoncer la porte. De plus, la position de celle-ci dans un flanc de la barbacane non visible (« défilé ») aux vues de l'assaillant, empêchait celui-ci de la détruire au canon faute de pouvoir y parvenir au bélier. La barbacane est reliée au château par deux ponts dormants qui franchissent le grand fossé. Ces ponts sont posés sur des piles hautes de dix mètres (soit la profondeur du fossé) Le premier pont, large de 2,50 mètres environ, mène au cœur du château résidentiel. L'autre, parallèle, plus étroit, est situé à une dizaine de mètres à sa gauche. Il donne accès à une basse-cour et à des bâtiments de servitude situés au pied est du donjon, légèrement en contrebas du château. Ces deux ponts jetés sur le grand fossé s'achèvent par une coupure large de quatre mètres qui ne peut être franchie qu'en abaissant un pont-levis. Le pont-levis menant au château résidentiel est double : un petit, assez étroit, de la largeur d'une passerelle, dessert une porte piétonnière tandis que le pont-levis le plus large dessert une porte charretière. Pour l'accès aux communs, un seul pont relevable, de largeur intermédiaire.
Vue de l'arrière de la porte d'entrée, deux ponts levis, un pour les piétons, un pour les cavaliers et charrettes. Le tout encadré par deux canonnières. (Photo: Patrick Garcia)
La belle entrée des appartements privés.(Photo: Patrick Garcia)
L'avant de la porte d'entrée avec ses deux ponts levis. (Photo: Patrick Garcia)
Dernière image du puissant donjon de Bonaguil, depuis la barbacane. Impressionnant, non? (Photo: Patrick Garcia)
La belle et classique vue de Bonaguil, dans son écrin de verdure, depuis les hauteurs avoisinantes. (Photo: Patrick Garcia)
Toujours dans ce but de ne laisser subsister aucun emplacement à l'abri des tirs de la défense, un moineau est aménagé dans le fond du grand fossé, au pied de l'escarpe rocheuse. Ce petit ouvrage est une casemate basse couverte d'un toit épais en dalles et moellons et qui repose sur une solide voûte. On ne peut accéder à ce moineau que par une grotte naturelle prolongée en couloir qui, s'ouvrant dans l'escarpement rocheux au sud du château, passe de part en part sous celui-ci.
Ce moineau est un ouvrage militaire typique de la seconde partie du XVe siècle. Situé en fond de fossé, armé de cinq canonnières, il est totalement protégé des tirs de canon de l'assaillant et permet d'effectuer des tirs rasants dans le fossé, interdisant à l'assaillant qui aurait réussi à y descendre à utiliser le fond du fossé comme voie de progression (Les moineaux ont subsisté, sous l'appellation de "caponnières" et dans une variante modernisée, jusque dans la fortification du début du XXe siècle).
Une vue inattendue, une gariottes avec en toile de fond, Bonaguil.(Photo: Patrick Garcia)
A un kilomètre à vol d'oiseau de Bonaguil, cet ancien pigeonnier- gariotte. (Photo: Patrick Garcia)
Enfin, des boulevards terrassés sont aménagés sur les flancs est, sud et ouest du château. Ces boulevards sont renforcés par des tours basses casematées. Le boulevard arrondi qui contourne le pied de l'angle sud-est du château renferme un long couloir semi-circulaire qui dessert huit canonnières qui prennent les pentes est, sud et nord sous leurs feux. Ce couloir-casemate est couvert d'une remarquable voûte. On y descend par une rampe située à l'une de ses extrémités. Cette pente aménagée permet ainsi un accès aisé pour le portage de canons de petit calibre. À l'autre extrémité, un escalier à vis remonte près de l'entrée de la grotte-couloir menant au moineau du grand fossé nord. Le boulevard implanté à l'angle sud-ouest du château communique avec l'extérieur au moyen d'un passage en chicane ménagé au cœur une tourelle basse couverte d'un toit de lauzes. D'apparence anodine, banale, l'accès réalisé dans cette tourelle est en réalité un redoutable piège : deux portes épaisses à forcer, l'une pour pénétrer dans la tourelle, l'autre pour pouvoir en ressortir. Entre ces deux fermetures : un étroit couloir en zigzag interrompu par une porte intermédiaire, elle-même prise sous les tirs d'enfilade d'une meurtrière intérieure.
Belle vue aérienne du "Géant" . (Image du Net)
Reconstitution de Bonaguil. (Photo: Patrick Garcia)
Maquette très réaliste de Bonaguil. (Image du Net)
ci, la partie la plus "cossue", la Barbane, à droite, la grosse tour, et a gauche le donjon... (Image du Net)
Les fausses-braies/boulevards et la barbacane ne sont destinées qu’à éloigner l'assaillant du cœur du château, qui constitue la partie résidentielle. Celle-ci est également renforcée. Six tours sont construites, quatre tours circulaires d’angle et deux tours de milieu de courtine, une carrée à l’ouest, et une ronde au sud (d’importance secondaire, d’autant qu’elle est actuellement prise dans des appartements construits au 18ème siècle). Les tours sont à peine engagées, donc a contrario très saillantes par rapport à l'enceinte, ce qui permet un meilleur flanquement de celle-ci. La plus intéressante de ces tours construites par Béranger de Roquefeuil se situe à l'angle nord-ouest du château, à l'extrémité du grand fossé de l'entrée. Il s'agit d'un énorme cylindre de plus de quatorze mètres de diamètre, haut de trente et dont les murs dépassent les quatre mètres d'épaisseur à la base. Elle contient sept étages dont les trois plus bas desservent des canonnières, tandis que les quatre étages supérieurs, non dévolus à la défense, s'éclairent par de magnifiques fenêtres à croisées de meneaux. Le sommet de cette remarquable tour (l'une des plus belles tours médiévales de France) est couronné d'un chemin de ronde avec mâchicoulis porté par des corbeaux de type breton (en pyramides inversées, avec des quatre ou cinq ressauts.
Ces hautes tours servent, comme dans le château médiéval primitif, à protéger les murailles grâce aux avancées qu’elles constituent.
Quand Bérenger meurt en 1530 à l'âge de 82 ans, le château de Bonaguil, avec ses hautes tours et murailles, bien qu'épaisses, n’est déjà plus adapté aux techniques militaires de l'époque. Dans l'intervalle, les canons ont fait de considérables progrès : ils peuvent tirer de plus en plus loin et avec plus en plus de force. On commence dès lors à construire des forts enterrés et à peine dix ans plus tard, les premières fortifications bastionnées vont voir le jour en Italie…
EXTRAIT DE WIKIPEDIA
Aux environs, les beaux jardins du château de Fumel sont libres d'accès et à visiter! (Photo: Patrick Garcia)
Le bassin central du jardin et ses poissons rouges. (Photo: Patrick Garcia)
Vue depuis la terrasse, les jardins du château de Fumel... (Photo: Patrick Garcia)
Le château des Fumel a été reconstruit dans un style classique. C'est l'actuelle mairie. (Photo: Patrick Garcia)
La belle galerie sous terrasse, un régal! (Photo: Patrick Garcia)
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Condensé d’
" HISTOIRE DES PAYSANS" D’EUGENE BONNEMERE - 1856
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Episode 4
XVIIe SIECLE.
Les coutumes du 17ème siècle
Image édifiante de l'époque, par Callot, la dévastation d'un monastère. (Repro: Patrick Garcia)
Le paysan, en Bourgogne, n'est pas serf de corps, il le devient s'il possède pendant un an et un jour une terre mainmortable, et se libère en décaissant l'héritage. Puis, une fois asservi, il ne peut acquérir ni prescrire la franchise contre son seigneur. Il est taillable haut et bas, c'est-à-dire « au plaisir et à la volonté des seigneurs. » (Cout. De Bourgogne, Notes.) Dans la Champagne, il faut des lettres du seigneur pour acquérir la franchise; en Auvergne, dans le pays de Combrailles, terre de servage, les enfants suivent la pire condition, et, bien que fils d'un père libre, sont serfs si leur mère est serve, et Probet, commentateur de la Coutume d'Auvergne, plaidait pour les chanoines réguliers de Saint-Augustin, que les mariages des serfs n'étaient pas de véritables mariages. Dans le bailliage de Troyes, nous retrouvons les serfs de plusieurs conditions et servitudes, selon la nature des terres et seigneuries. Les uns sont de taille à volonté, de poursuite, de formariage; d'autres sont de taille abonnée, et comme les autres pour le reste; quelques-uns sont mainmortables en meubles seulement.
Dans l'évêché de Troyes, quand un homme franc épouse une serve, les enfants se partagent par moitié; s'il se marie avec une femme d'une autre seigneurie, l'évêque prend tous les enfants. Si le serf appartient à plusieurs seigneurs, « le fruit se partage entre eux pour telle part et portion que les pères et mères sont leurs hommes ou femmes de servitude. » (Cout. de Troyes, art. 3-7.) Ils sont de poursuite en quoique lieu qu'ils aillent, francs ou non, car ils sont censés et réputés de pied, et partie de la terre, » Ils sont « astreints et liés du lien de servitude, » dit la coutume de Meaux…
« Dans la coutume de Château-Meillan, rédigée en 1648, tous les hommes sont serfs, s'il n'appert (n’apparaît) du contraire. Ils sont taillables trois fois l'an, selon leurs facultés, et mortaillables quand ils décèdent sans hoirs communs et demeurans ensemble » (tit. V. art. 17). S'ils vont demeurer pendant un an et un jour en lieu de franchise où le seigneur ne les peut suivre, ils perdent tous leurs héritages, acquis de plein droit à celui-ci.
L'arbitraire perd néanmoins du terrain, et, à coté d'un arrêt du parlement de Metz, en date du 27 janvier 1674, et d'un autre du décembre 1682, qui limitent à une quantité déterminée les corvées à toutes mandées, j'en trouve deux, l'un du parlement de Grenoble, à la date du 9 juillet 1664, l'autre du parlement de Toulouse, à celle du 2 février 1658, qui réduisent à quatre cas la taille à miséricorde. Il arrive même que dans certaines contrées, l'usage, l'excès de la misère, l'impossibilité de les payer, font tomber en désuétude quelques-uns de ces cas. Ainsi, dès 1548, un arrêt rendu à Toulouse déboute Gilbert de Lévis, comte de Ventadour, du droit de lever la taille au sujet d'une nouvelle acquisition de terre. « Dieu sait, dit Loyseau, comment le seigneur usurpe hardiment et impunément sur ses sujets, soit banalités, soit augmentation de ses cens, soit la haute taxe de ses rachats à tant par arpent, soit les fruits de pure perte, soit les biens des mineurs ou des pauvres gens, sous prétexte de déshérence ou autres prétextes, soit des péages, soit des corvées, soit des subsides et levées de deniers, soit des amendes en toutes causes, dont les pauvres gens n'osent se plaindre et quand ils s'en plaindraient, leurs juges n'en oseraient faire justice, et si on les saurait bien attraper au passage. Et c'est pourquoi on dit que le seigneur de paille mange le vassal d'acier. » (De l’abus des justices de village).
Massacres lors des guerre de religion qui ruinèrent la France, et surtout, ses habitants. (Repro: Patrick Garcia)
Louis XIII. Etats généraux de 1614. -Ils restent sans effet pour le peuple. Guerres civiles. Guerres de religion.
Le moment était bien choisi, à la mort d’Henri IV, pour risquer une dernière tentative en faveur du règne de la féodalité. Le roi était mineur, le temps de la majorité des gentilshommes allait revenir. Les économies du feu roi furent gaspillées, Sully fut congédié, et le maréchal d'Ancre, qui lui succéda, vendit des arrêts du conseil qui assuraient l'impunité aux traitants qui pressuraient le peuple. On le vit faire acquitter, pour 300,000 francs qu'il toucha, des élus qui, de leur autorité privée, avaient augmenté leurs taxations dans la proportion de trois à huit. Les princes et les grands quittèrent la cour recommencèrent leurs menées, et ramenèrent sur notre pauvre France tous les fléaux de la guerre civile.
Les états généraux de 1614 restèrent sans nul effet Jacques Bonhomme (surnom de notre paysan) continua d'être pillé et assommé par les hommes d'armes, et violemment dépouillé par les seigneurs… Les grands s'emparèrent du prétexte de la religion pour rallumer la guerre civile prête à s'éteindre, et en 1620, le prince de Condé donna le signal de cette lutte criminelle qui, recommencée trois fois, ne se termina qu'après avoir promené pendant neuf années le meurtre et l'incendie sur la plupart des provinces du royaume.
La guerre civile n'était pas moins terrible dans le centre et dans le midi de la France, où les calvinistes, sous les ordres de Rohan et de Soubise, occupaient les principales villes levaient les deniers royaux, contraignaient les receveurs et collecteurs de tailles à verser entre leurs mains tout l'or de leurs caisses, et forçaient les paysans des environs à travailler aux fortifications des places, à charroyer tous les bois, foins, pailles, vivres et approvisionnements nécessaires, les emprisonnant et faisant saisir et vendre leurs biens en cas de refus. Tout le midi fut bientôt en feu le Béarn se souleva, et, secondés par trois mille hommes qui descendent des Cévennes, les rebelles occupent Montauhan, Castres, le comté de Foix, toute la haute Guyenne, Toulouse et le bas Languedoc, le Rouergue, l'Albigeois et l'Agenois, La Rochelle et le pays d'Aunis, « faisant un tel dégât, à la campagne, qu'ils ne laissèrent pas maisons de seigneurs ni de gentilshommes, terres ni métairies, villages ni fermes, qu'ils n'aient mis à feu et à sang, brûlé les églises, crucifié les prêtres, violé les femmes et les filles jusqu'à l'âge de dix ans, forcé les monastères de religieux et religieuses, et commis des actes pires que les Turcs et les infidèles, et tels que l'on ne les pourrait décrire ni raconter qu'avec horreur. »
(Hist. De la Rébellion : 86,117, 134), 637, 753.)
On doit croire que les catholiques tenaient à honneur de rendre crimes pour crimes, et cinquante mille hommes de troupes royales, divisés en quatre corps d'armée, furent envoyés contre les huguenots avec ordre de faire des dégâts autour de Montauban, Castres, Nîmes et Uzès.
n'y eut donc pas longtemps a piller. Comme les habitants de Montauban tenaient a faire des sorties triomphantes et victorieuses et que la grandeur d'une victoire se mesure à la richesse du butin ou au nombre des cadavres, ne pouvant plus voler le campagnard, ils regorgèrent, « et bientôt la plupart des bourgs virent couler le sang de leurs habitants, et joindre l'incendie à l'enlèvement de leurs biens. »
Comme toujours, la peste survient pour aggraver les faits de guerre. L'enfer est sur la terre! (Repro: Patrick Garcia)
Tentatives de Richelieu. Assemblée des notables. Guerres civiles. Ravages effroyables. Révolte des nu-pieds.
Arrivé au pouvoir, Richelieu convoqua une assemblée des notables, le 2 décembre 1626, et l'invita à chercher les moyens dérégler les tailles de telle sorte « que les pauvres qui en portent la plus grande charge, fussent soulagés ».
Richelieu proposa encore d'établir une sorte de « maximum » sur le blé, afin que les marchands n'abusassent pas des nécessités du pauvre peuple.
Il fit ordonner également que « toutes les fortifications faites depuis trente ans aux châteaux et maisons des particuliers, sans permission expresse du roi, fussent démolies de fond en comble, avec défense de se fortifier de nouveau. »
Durant le siège de la Rochelle, le grand ministre, témoin des souffrances du peuple et des excès d'une soldatesque pour laquelle tout est pays de conquête, défendit aux soldats, sous peine de mort, de prendre les bœufs des laboureurs et de porter le trouble dans leurs travaux. Une commission spéciale recevait les plaintes des paysans et y faisait droit.
Quelques années plus tard, Gaston d’Orléans s'étant retiré également à la cour de Lorraine, décida le duc Charles à prendre les armes en sa faveur. Richelieu signe alors un traité d'alliance avec Gustave-Adolphe, et les Suédois se partagent avec les troupes françaises le soin de ravager cette province, qui servit de théâtre à des excès sans exemple peut- être dans le passé. On peut dire, en effet, même après tout ce que nous avons raconté, que les souffrances du peuple des campagnes dépassèrent véritablement alors toutes les limites du possible.
Au rapport d'un contemporain, 150,000 soldats, Français. Suédois, Allemands, Croates, Hongrois tombèrent sur les Flandres, sans compter toute une nuée de femmes, de valets, de vivandières, de bandits, qui portèrent à 4 ou 500,000 individus cette horde effroyable, écume des armées et de l'humanité. Retranchés derrière les forteresses, ils mirent le pays a sac, le ruinèrent d'abord, le dépeuplèrent ensuite, et souvent, après avoir violé les femmes.
Les couvents n'étaient point épargnés. Toutes les religieuses de Saint- Nicolas, auprès de Nancy, furent violées. Elles appelaient cela «Souffrir le martyre. Elles racontaient à un évêque qu'elles l'avaient souffert, l'une deux, l'autre trois, une autre jusqu'à huit fois. « Huit fois le martyre ! s'écria monseigneur. Ah! Ma sœur, que vous avez de mérite! » Tallemant des Réaux. VII 78.)….
Ces femmes, ils les égorgeaient sur les cadavres de leurs pères et de leurs époux, et les éventraient tous pour chercher dans leurs entrailles fumantes l'or qu'ils les accusaient d'avoir avalé. Bientôt ceux qui avaient survécu délaissèrent toute culture, et s'enfuirent au fond des forêts, où ils se virent réduits à une existence d'anthropophages. Il n'y avait absolument rien sur le pays qui pût servir à la nourriture de l'homme, les troupes du roi aussi bien que les garnisons et les habitants des villes ne subsistaient que de blés qu'on y faisait passer de la Champagne sous de fortes escortes.
Quant aux paysans, après avoir dévoré les charognes demi-pourries des animaux abandonnés et morts faute de soins, et avant d'en venir à déterrer les cadavres fraîchement confiés à la terre, comme ils le firent bientôt, on les vit « aller à l'affût pour y prendre et tuer les passants, comme on prend les lièvres, et pour s'en nourrir. » On appelait ces déplorables victimes des intrigues des grands et des hauts faits des héros des batailles, on appelait ces cannibales involontaires, schnapans ou loups des bois.
Un paysan, dans un village auprès de Nancy, tua sa sœur pour un pain de munition, des femmes mangèrent leurs maris morts de faim, et les mères se disaient entre elles, en dévorant de compagnie leurs enfants « Tu mangeras aujourd'hui ta part du mien, et demain je mangerai ma part du tien. »
Aux portes de Metz, on trouva dans une chaudière trois têtes d'enfants qu'on y avait fait cuire. La peste survint, et commença à Pâques 1630 pour ne disparaître qu'au printemps de 1637; puis les loups se mirent de la partie, si bien qu'il périt « plus de six cent mille Lorrains, par la famine, la peste, l'épée, la disette, le froid, et les dents des bêtes farouches. »
Symptomatique de l'époque, et toujours par Callot, la"Maraude", le vol des biens par des vagabonds armés. (Repro: Patrick Garcia)
… Dans le Périgord et dans tout le pays entre la Garonne et la Charente. Les vignerons de la haute Saintonge, de la Guyenne, de l'Angoumois et du Poitou s'armèrent de toutes parts, excités par les Espagnols, qui rassemblèrent des forces dans la Biscaye et la Navarre pour franchir les Pyrénées à la faveur de ce mouvement populaire. L'insurrection, passant des campagnes dans les villes, avait déjà pris un grand développement, lorsque Richelieu lança contre ces nouveaux croquants des troupes commandées par le duc de Lavalette. Cette armée, réunie à la noblesse du pays, attaqua les insurgés sur tous les points, et ils furent massacrés et dispersés après une résistance désespérée (Massiou, Hist. De Saintonge et d’Aunis.) (1630,1637). « Les chefs furent pendus, et cette engeance tout à fait exterminée. » (Montglat, 170.)
L'implacable Richelieu jura d'être sans pitié pour la province rebelle. Il brisa tout d'abord le parlement de Rouen, la cour des aides, le maire avec les échevins, et le lieutenant-général, qui avaient trop ouvertement reconnu la légitimité de la résistance agressive des paysans, et remplaça ces autorités locales par une commission présidée par le chancelier
Séguier, et composée de juges des cours de Paris. Puis il fit marcher contre la Normandie Gassion, depuis maréchal de France, à la tête de quatre mille hommes, et un grand nombre de gentilshommes, « la fleur de la noblesse », pour châtier les insurges. Après être entré sans résistance à Caen, dont il désarma les habitants, Gassion marcha sur Avranches, où les paysans s'étaient retirés, bien décidés à lui opposer une résistance désespérée. Ils s'étaient retranchés à l'entrée d'un faubourg, où, quoi- qu'ils n'eussent pour toute défense qu'une faible barricade, et qu'ils fussent battus de la ville, ils arrêtèrent pendant près de cinq heures les troupes aguerries envoyées pour les réduire.
Il y eut parmi eux un homme qui renouvela les exploits du Grand Ferré. De temps en temps, lorsque les assaillants les serraient de trop près, s'élançant comme un lion de sa tanière, il franchissait d'un bond la barricade, tombait comme la foudre sur les premiers rangs des soldats, frappés de stupeur, et, après les avoir fait reculer, il sautait de nouveau par-dessus la barricade, et se perdait au milieu des siens, dont les cris d'enthousiasme applaudissaient à son triomphe. Une fois, il aperçut à la tête de l'ennemi un chef qu'à son brillant costume il jugea devoir être Gassion il se précipite pour la quatrième fois, tombe sur lui, le tue, et disparait. C'était le marquis de Courtaumer qu'il avait frappé. Enfin, après cinq heures d'une lutte de géants, tous étaient morts, tous étaient tombés à leur poste, sans avoir reculé d'une semelle tués, mais non pas vaincus. Quand ils ne furent plus que dix de vivants, on put les entourer, les accabler sous le nombre, et les prendre.
On ne voulait pas les fusiller, c'est la mort du brave; il fallait les pendre comme des manants qu'ils étaient.
Mais pour une telle besogne, il ne se trouva pas de bourreau. On avait hâte d'en finir cependant, et, puisqu'il ne restait que cela, de punir cette armée d'insurgés dans la personne des dix survivants; de plus, il était urgent de ne pas laisser aux soldats, encore ivres de la lutte, le temps de voir ce qu'il y avait de sublime dans le courage de ces hommes, et ce qu'il avait de hideux dans cette lâche vengeance.
On transigea, et l'on offrit sa grâce il celui des dix qui pendrait les neuf autres. L'un d'eux céda, après de longues hésitations. Il était cousin de l'une des victimes « Hé !,cousin ne me pends pas! » dit celui-ci quand ce fut son tour. Il le brancha cependant comme les autres. Le malheureux apprit bientôt, qu'il avait racheté sa vie à un trop haut prix. Poursuivi par les malédictions de tous, il quitta le pays, mais s'il échappa aux anathèmes des hommes, il ne put se soustraire aux reproches de sa conscience. Il cacha sa tête maudite sous le capuchon d'un moine, et mourut ermite.
Un autre avait survécu aussi, et comme par miracle, à ce grand désastre: c'est le héros des paysans, celui qui enjambait les barricades, celui qui avait abattu a ses pieds le marquis de Courtaumer. Gassion le fit chercher partout, répandant hautement dans la contrée le bruit qu'il lui ferait grâce et lui donnerait place dans les rangs de ses soldats. Mais cet homme n'osa pas s'y fier, voyant la terreur que les vainqueurs faisaient peser sur la contrée. Il lui était facile de tromper toutes les investigations dans un pays dont chaque habitant lui était un complice. Il s'enfuit jusqu'en Bretagne, où un jour, à quelques mois de là, dans un cabaret et poussé par les mauvais conseils de l'ivresse, il se vanta d'avoir tué Courtaumer. On l'arrêta et on l'envoya au terrible chancelier, qui le fit rouer vif a Caen. Pour Gassion, c'était un héros, et pour Séguier, un assassin tout, dans les jugements des hommes, dépend du point, de vue.
"Digéré et mis en forme par Patrick Garcia"
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La magie des contes et des fées, pour les petits et les grands... (Image du Net)
Notre conte agenais
Peau- d’Âne
Il y avait une fois un homme qui avait trois filles. Un jour cet homme alla travailler dans son champ, tout près d'un noyer, et il entendit une voix qui disait :
— Homme, si tu ne me donnes pas une de tes filles en mariage, je te mange.
— Qui es-tu? Je t'entends, mais je ne te vois pas.
— Je suis le roi de France.
— Eh bien ! Roi de France, si une de mes filles y consent, tu l’auras en mariage.
L'homme rentra chez lui et se mit au lit. A peine. Etait-il couché, que sa fille aînée entra dans la chambre.
— Qu'avez-vous, père ?
— Je suis malade; tu peux me guérir si tu veux. II faut épouser le roi de France.
— Je ne veux pas l'épouser.
Le lendemain, l’homme revint travailler dans son champ, prés du noyer, et il entendît la voix qui disait:
— Homme, si tu ne me donnes pas une de tes filles en mariage, je te mange.
— Roi de France, ma fille ainée ne veut pas de toi. Je parlerai ce soir à la seconde, et si elle y consent, tu l'auras en mariage.
L'homme rentra chez lui et se mit au lit. A peine était-il couché que sa seconde fille entra dans la chambre.
— Qu'avez-vous, père ?
— Je suis malade; tu peux me guérir si tu veux. Il faut épouser le roi de France.
— Je ne veux pas l’épouser.
Le lendemain, l’homme revint travailler dans son champ, prés du noyer, et il entendit la voix qui disait:
— Homme, si tu ne me donnes pas une de tes filles en mariage, je te mange.
— Roi de France, ma seconde fille ne veut pas de toi. Je parlerai ce soir à la troisième, et si elle y consent, tu l'auras en mariage.
L'homme rentra chez lui et se mit au lit. A peine était-il couché que sa troisième fille entra dans la chambre.
— Qu'avez-vous, père?
— Je suis malade ; tu peux me guérir si tu veux. II faut épouser le roi de France.
—J'épouserai le roi de France ; mais je veux qu'il me donne en présent de noces trois robes : l'une couleur du ciel, l'autre couleur de la lune, et l'autre couleur du soleil. Je veux qu'il me donne aussi un couvert d'or, avec l'assiette et le gobelet, un trol d'or (Le trol est un instrument qui sort à faire les écheveaux.), et douze fuseaux d'or avec la filière.
— Tu auras tout cela, dit le roi de France, qui écoutait à la porte.
Les présents arrivèrent le lendemain, et le mariage fut fait quinze jours après. En sortant de l’église, le roi de France dit à sa femme :
— Je pars pour un grand voyage. Si dans neuf ans je ne suis pas revenu, tu partiras pour me chercher.
Le roi de France partit pour son grand voyage, et huit années franches se passèrent sans qu'il revienne. Sa femme attendit encore un mois; puis elle partit à la recherche de son mari. Au bout de trois jours, elle trouva une peau d'âne sur son chemin et la mit sur son cou. Au bout de trois autres jours, elle arriva au bord d'un ruisseau où des femmes lavaient la lessive.
— Laveuses, avez-vous vu le roi de France?
— Oui, Peau-d'Ane, nous l'avons vu. Il est là, dans cette église, et il épouse une fille belle comme le jour.
— Merci, laveuses. Pour vous payer ce renseignement, je veux vous aider à laver.
Les laveuses lui donnèrent un torchon noir comme la suie; mais en un moment, Peau-d'Ane le rendit aussi blanc que la plus belle serviette.
La part du rêve et de l'effroi, un ciment pour l'éducation... (Image du Net)
En quittant les laveuses, Peau-d'Ane s'en alla sur la porte de l’église, et trouva le roi qui sortait.
— Roi de France, te souviens-tu quand mon père travaillait dans son champ, près du noyer, et que tu lui disais : « Homme, si tu ne me donnes pas une de tes filles en mariage, je te mange ? »
Le roi de France ne répondit pas, et toujours Peau-d'Ane répétait:
— Roi de France, te souviens-tu quand mon père travaillait dans son champ, près du noyer, et que tu lui disais : « Homme, si tu ne me donnes pas une de tes filles en mariage, je te mange ? »
Alors le curé s'approcha.
— Roi de France , je te commande, par le salut de ton âme, de me dire si tu n'as pas épousé d'autre femme avant de te marier ici?
— Non, curé.
Alors Peau-d'Ane se tût et demeura sur la porte jusqu'à la sortie de la mariée.
— Madame, lui dit-elle, n'avez-vous pas besoin d'une servante?
— Oui, Peau-d'Ane, j'en ai besoin d'une pour garder les dindons.
Peau-d'Ane suivit le roi et la reine dans leur château, et le soir elle dit à la reine :
— Madame, laissez-moi coucher avec le roi de France.
— Non, Peau-d'Ane; je n'y ai pas encore couché moi- même.
—Madame, si vous me laissez coucher avec le roi de France, je vous donne un couvert d'or, avec l'assiette et le gobelet.
— Eh bien ! Peau-d'Ane, c'est convenu.
Peau-d'Ane donna à la reine le couvert d'or, avec l'assiette et le gobelet, et alla se coucher a côté du roi de France.
— Roi de France, lui disait-elle toute la nuit, te souviens- tu quand mon père travaillait dans son champ, près du noyer, et que tu disais :
« Homme, si tu ne me donnes pas une de tes filles en mariage, je te mange? »
Mais la reine avait donné au roi de France un breuvage pour le faire dormir, et il ne répondit pas à Peau-d'Ane. Le lendemain matin la reine entra dans la chambre.
— Allons, Peau-d'Ane, lève-toi : il est temps d'aller garder les dindons.
Peau-d'Ane se leva et s'en alla garder les dindons jusqu'au soir. Alors, elle dit à la reine :
— Madame, laissez-moi coucher avec le roi de France.
— Non, Peau-d'Ane; je n'y ai pas encore couché moi-même, et tu y as couché une fois.
—Madame, si vous me laissez coucher avec le roi de France, je vous donne un trol d'or et douze fuseaux d’or, avec la filière.
— Eh bien Peau-d'Ane, c'est convenu.
Peau-d'Ane donna à la reine le trol d'or et les douze fuseaux d'or, avec la filière, et alia se coucher h côté du roi de France.
— Roi de France, lui disait-elle toute la nuit, te souviens-tu quand mon père travaillait dans son champ, près du noyer, et que tu disais : « Homme, si tu ne me donnes pas une de tes filles en mariage, je te mange. »
Mais la reine avait donné au roi de France un breuvage pour le faire dormir, et il ne répondit pas à Peau-d'Ane.
Le lendemain matin la reine entra dans la chambre.
— Allons, Peau-d'Ane, lève-toi; il est temps d'aller garder les dindons.
Peau-d'Ane se leva et s'en alla garder les dindons jusqu'au soir. Alors, elle dit à la reine :
— Madame, laissez-moi coucher avec le roi de France.
— Non, Peau-d'Ane; je n'y ai pas encore couchée moi-même, et tu y as couché deux fois.
—Madame, si vous me laissez coucher avec le roi de France, je vous donne deux robes : l'une couleur du ciel et l'autre couleur de la lune.
— Eh bien ! Peau-d'Ane, c'est convenu.
Peau-d'Ane donna à la reine la robe couleur du ciel et la robe couleur de la lune, et alla se coucher h côté du roi de France.
— Roi de France, lui disait-elle toute la nuit, te souviens- tu quand mon père travaillait dans son champ, près du noyer, et que tu disais :
« Homme, si tu ne me donnes pas une de tes filles en mariage, je te mange? »
Mais la reine avait donné au roi de France un breuvage pour le faire dormir qui était moins fort que les deux autres, et il répondait en pleurant :
— Oui, je m'en souviens. Oui, je m'en souviens.
Le lendemain matin, Peau-d'Ane se leva, et quand la reine entra dans la chambre pour lui dire d'aller garder les dindons, elle la trouva vêtue de sa robe couleur du soleil.
— Reine, dit le roi de France, aimerais-tu mieux être la première femme d'un homme ou la seconde?
— J'aimerais mieux être la première.
— Eh bien ! Tu t'es condamnée toi-même, par ce que tu as fait et par ce que tu as dit. Prends ton couvert d'or, avec l'assiette et le gobelet; prends le trol d'or et les douze fuseaux d'or, avec la filière; prends les deux robes, l'une couleur du ciel et l'autre couleur de la lune, et retourne chez tes parents.
La reine descendit aussitôt à l’écurie, fit seller un cheval, et retourna chez ses parents. Peau-d'Ane demeura dans le château, et devint reine à sa place.
"Et cric, cric,
Mon conte est fini;
Et cric, crac,
Mon conte est achevé.
Je passe par mon pré
Avec une cuillerée de fèves qu'on m'a donnée."
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D’après
« CONTES POPULAIRES RECUEILLIS EN AGENAIS »
PAR
M. JEAN FRANÇOIS BLADÉ
PARIS LIBRAIRIE JOSEPH BAER
2 RUE DU QUATRE-SEPTEMBRE,
1874.
OoooooooooOOOOoooooooooo
PATRICK GARCIA